Article sur Serge Goyens de Heusch
Le noble art de Serge Goyens de Heusch
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« Une passion pour l’art belge! » présente au Musée L de Louvain-la-Neuve la nouvelle donation faite par Serge Goyens de Heusch, ce qui porte à 2.000 le nombre d’œuvres ainsi cédées. Portrait de celui qui joua le rôle de révélateur d’artistes belges du siècle dernier.
À près de 80 ans, Serge Goyens de Heusch possède encore le regard pétillant du jeune homme qu’il fut derrière cette même cigarette qui semble ne pas l’avoir quitté depuis. Installé parmi les livres, les CD – car c’est aussi un passionné de musique –, sous les plafonds jaunis par le tabac de son salon, ce grand collectionneur, galeriste, curateur, historien d’art et professeur qui succédera à Serge Vandercam commedirecteur de l’académie de Wavre, évoque par volute son passé de découvreur et de défenseur de l’art « national »: notamment ce que l’on a appelé après la guerre « La jeune peinture belge », entre abstraction et postimpressionnisme. Ce qui peut paraître paradoxal pour un homme qui vit au centre d’Uccle, dans un décor de peinture naïve…
Jusqu’au 2/9 au Musée L de Louvain-la-Neuve. À voir également, des œuvres de la collection issues de ses donations précédentes.
Ce n’est pas la seule contradiction: Serge Goyens a en effet commencé sa carrière dans l’antiquariat et les salles de vente, obligé qu’il fut de trouver un travail après avoir terminé ses gréco-latines. « Mon père était un bon à rien qui a exercé nombre de métiers, explique-t-il. À l’inverse de ma mère qui était plus versée dans l’art. J’ai encadré une œuvre qu’elle a commise en 1928, lorsqu’elle était élève à l’Enfant-Jésus, dont la plastique pure évoque Marcel Baugniet. Mais c’est un peu par les hasards et les nécessités de la vie que je me suis intéressé à tout cela », ajoute-t-il pudiquement.
Le jeune homme d’alors ouvre en 1963 sa propre boutique d’antiquités au Sablon, Armorial, qui désigne un livre qui compile les blasons. Mais aucun lien avec les racines nobles de Serge Goyens de Heusch sourit ce dernier, « juste une question de sonorité ». Par ailleurs, le fringuant antiquaire collectionne quelques toiles plus modernes du vingtième siècle signées Roger Dudant, Somville ou Pierre-Willy De Muylder. Sept ans plus tard, il franchit le pas et ouvre, au premier étage d’abord, une galerie d’art portant le même nom, dans laquelle il a organisé jusqu’en 1984 plus de 200 expositions.
« J’ai entrepris des études d’histoire de l’art tout en travaillant pour ensuite présenter en 1980 une thèse de doctorat à la Sorbonne, consacrée au fauvisme brabançon, précise-t-il. Il existe un lien organique entre impressionnisme et fauvisme: les beaux fauves brabançons ont débuté dans l’impressionnisme, influencés par exemple par James Ensor. Surgissent alors des artistes comme Rik Wouters. » Gagné par la passion pour l’art belge, Goyens crée ensuite une fondation consacrée au versant contemporain, ce qui en fit un pionnier dans la défense des artistes modernes et de la deuxième moitié du XXe siècle.
« J’ai entrepris des études d’histoire de l’art tout en travaillant pour ensuite présenter en 1980 une thèse de doctorat à la Sorbonne, consacrée au fauvisme brabançon. »
Serge Goyens de Heusch
« Parmi les artistes que j’ai choisis d’exposer, que j’ai défendus et collectionnés, je distinguerais deux tendances prépondérantes: les années 20 avec, notamment, l’œuvre de Pierre-Louis Flouquet, et la génération des artistes qui ont révolutionné autour de ‘La jeune peinture belge’, groupe créé juste après la guerre. » S’y retrouvaient une série d’artistes dont plusieurs passeront de la figuration à l’abstraction, notamment Delahaut, qui fut le premier à en faire, « si tant est qu’on oublie la génération de Flouquet », précise l’historien d’art.
Il défendra, à travers sa galerie et sa fondation, les Bertrand, Van Lint, Mendelson Mig Quinet… par le biais d’expositions et d’écrits dont des monographies d’artistes.
Deux d’entre eux symbolisent ces périodes défendues par ce grand collectionneur: Flouquet et Bertrand, dont Serge Goyens possédait respectivement une centaine d’œuvres. Et s’il n’a pas connu le premier, il a tissé des liens d’amitié avec le second, qui réalisa son portrait, lequel fait partie de la dernière donation.
« Gaston Bertrand habitait d’ailleurs ici. En 87, il a créé une fondation dont je me suis occupé afin de pérenniser son œuvre, Bertrand n’ayant pas de descendance. J’ai d’ailleurs écrit beaucoup d’ouvrages à son sujet. Après sa mort, sa veuve m’a demandé de venir vivre dans cette maison qui est aussi l’adresse de sa fondation. »
« La peinture des Tuymans, Borremans m’intéresse, bien que les prix pratiqués dans le cas de ces deux artistes me stupéfient. »
Serge Goyens de Heusch
Éclectique
Quant à savoir si Bertrand illustre les deux pôles de son intérêt, passant de l’impressionnisme, du figuratif à l’abstrait, l’ancien galeriste rétorque que son abstraction est toujours issue d’un regard porté sur la réalité, souvent l’architecture d’ailleurs. « Il transpose, transfigure, dépouille pour parvenir à l’abstraction. » Goyens parle d’ailleurs dans ses écrits de l’œuvre de Gaston Bertrand, d’icône, notamment dans ses portraits qui présentent à ses yeux un aspect hiératique, byzantin, frontal, stylisé et très dépouillé. « Antiquaire, poursuit-il, j’ai vendu des centaines d’icônes via un filon découvert en URSS. J’en ai d’ailleurs conservé une », dit-il en pointant du doigt celle qui trône parmi les livres. Serge Goyens est donc un éclectique, ce qui lui fut parfois reproché.
« C’est la première fois que j’intègre des œuvres de non-Belges dans une donation. »
Serge Goyens de Heusch
Et si l’abstraction belge du XXe siècle a dominé les choix de Goyens, on trouve également des artistes belges figuratifs et même des étrangers comme David Hockney, présent sous la forme d’un dessin dans l’exposition consacrée à la quatrième donation. « C’est la première fois que j’intègre des œuvres de non-Belges dans une donation, s’excuse-t-il presque. Les trois précédentes, qui font tout de même un total de 2.000 œuvres, ne comportaient que des compatriotes. Raison pour laquelle j’avais intitulé ma fondation ‘Fondation pour l’art belge contemporain’. » Un établissement d’utilité publique, approuvé par arrêté royal et destiné en dehors de tout but commercial à promouvoir des artistes belges par des expositions, des publications, et la constitution d’une collection. Dissoute en 2006, son fondateur en a cédé le patrimoine à travers une troisième donation au Musée L, les deux premières donations ayant été effectuées à titre personnel.
Une fondation qui fut son œuvre en quelque sorte pour cet « artiste », auteur de collages à l’époque. « Oh, une cinquantaine, avoue-t-il. Je les ai également donnés. J’avais mis au point un procédé qui consistait à prendre deux images que je découpais en fines languettes pour les mélanger ensuite. Un jour, j’ai découvert qu’existait un collagiste très connu, Jiri Kolar, d’origine tchèque, qui utilisait ce même procédé: cela m’a découragé. »
S’il n’a pas délaissé la cigarette au cours des années, il n’en fut pas de même pour l’art belge. « Le conceptuel comme le pratiquait Broodthaers ne m’a jamais enthousiasmé, ni le le second degré de Charlier. Par contre, la peinture des Tuymans et Borremans m’intéresse, bien que les prix pratiqués dans le cas de ces deux artistes me stupéfient. »
« J’ai même donné un cours sur les rapports entre musique et arts plastiques, notamment entre impressionnisme pictural et musical chez Debussy et Satie, à travers l’expressionnisme avec Stravinsky, explorant même le lien entre minimalisme en peinture et Steve Reich… »
Serge Goyens de Heusch
Et si les vidéastes ne l’émeuvent guère, ce violoniste amateur, qui suivit des cours d’harmonie durant cinq ans, voit un parallèle entre musique et peinture, notamment chez Lismonde, allant jusqu’à écrire un long article à ce sujet dans le catalogue d’une exposition consacrée à cet artiste. « J’ai même donné un cours sur les rapports entre musique et arts plastiques, notamment entre impressionnisme pictural et musical chez Debussy et Satie, à travers l’expressionnisme avec Stravinsky, explorant même le lien entre minimalisme en peinture et Steve Reich… »
De l’art du XXe siècle, Serge Goyens de Heusch a saisi toute la « portée ».
Source: L’Echo
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